lundi 17 janvier 2011

Comment écrire un bon polar suédois?



Toi aussi, tu veux devenir un auteur à succès ? Tu veux surfer sur la vague ? Tu rêves de dédicacer tes romans par caisses de douze ? Alors, deviens auteur de polars suédois. C’est à la mode. Voici quelques règles à suivre pour rédiger  ton premier best seller scandinave.

Avant toute chose, plante le décor. N’oublie jamais ce détail important : en Suède, il caille. Et pas qu’un peu. Il caille sévère. Dans les -20°. Pas toute l’année, l’été est d’ailleurs assez doux. Mais ça, on s’en fout. Tout bon polar suédois qui se respecte se passe en hiver. Un hiver piquant, avec un vent à déboiser un renne. Un hiver à tailler des diamants avec son prépuce. Un hiver où on prend un coup de chaleur en ouvrant le frigo. Conséquence inéluctable : tes personnages doivent toujours boire du café brûlant.

- Avez-vous tué madame Södersson, mon cher Bjäär ? Mais avant de répondre, voulez-vous que je vous refasse quelques litres de café brûlant ?
- OUAIS !!!

Quand ils ne boivent pas de café, tes héros doivent s’empiffrer. Autrement, ils gèlent sur place par manque de calories en combustion. Et ils mangent tout le temps : du fromage, des gateaux, des filets de hareng. Le tout arrosé d’un bon thermos de café. Ce qui nous amène à notre deuxième conséquence : le héros suédois est toujours un peu grassouillet. Comme un poussin qui serait resté enfermé toute la nuit dans le rayons haricots en sauce du Delhaize. L’héroïne roulée comme Adriana Karembsson, tu oublies : c’est pour le cinéma. Dans les romans policiers, c’est plutôt Bridget Jonesson. De toute façon, le détective suédois peut se permettre d’être gros : personne ne remarque rien sous ses trois manteaux en peau de phoque. Mais il fait quand même du sport, parce qu’il ne voudrait pas devenir obèse. Juste rester grassouillet. Le Suédois reste lucide. Normal, c’est le pays où les gens sont les plus intelligents du monde.

Il est temps maintenant de t’imprégner de la culture suédoise. Quelques notions rudimentaires suffiront. Prenons la géographie par exemple. Tu pensais que le meurtre aurait lieu à Stokholm ou à Göteborg ? Pas de bol, les meurtiers suédois frappent toujours dans des bleds qui portent un nom d’au moins 5 syllabes. Ferderickstrombledberg, Bledigünbergströmtan, Hoffingqrakbledssonstad, Liddörsthörbledkkborg-la-Buissière. Un auteur s’est un jour essayé à des noms de villages plus courts, mais son roman “Trois marrons glacés à Kstdkl” a été un flop total.

Autre coutume typiquement suédoise : les flics ont trop de boulot pour résoudre des meurtres. Du coup, cette tâche ingrate échoit à quelques citoyens lambda qui ont la chance d’exercer un métier où on n’a rien à foutre de la journée : journaliste, écrivain, instituteur, directeur d’un empire financier. Un peu comme Tintin, mais avec des mouffles, des raquettes aux pieds et un quadruple col en mouton retourné. Et accro au café.

Dans un vrai polar suédois, le meurtrier est typiquement pété de thunes. Ce n’est pas sa faute, il est suédois. Là où ça se complique, c’est que les innocents sont également riches comme Crésus. Ils gagnent des centaines de milliers de couronnes chaque année. C’est important de le préciser. Et c’est encore plus important de passer sous silence le taux de change. Tout le monde s’en fout également. Tout ce qu’on sait, c’est que 100.000 couronnes, ça fait beaucoup d’euros aussi.  Entre 1.000 et 10 millions d’euros. Au moins.

Grosse tendance également dans le polar suédois, c’est l’exil. En décortiquant le passé de la victime, l’enquêteur tombera sur une période opaque : mais où diable était Grönkald entre ses 18 et 21 ans ? Tu veux vraiment savoir ? Il était en Suisse. Tous les personnages de romans policiers suédois s’exilent en Suisse à un moment ou un autre. Pour quoi faire ? On n’en sait rien. Du ski sans doute. Et pourquoi la Suisse ? Peut-être parce que c’est le pays qui suit la Suède dans la dictionnaire. Si l’intrigue se passait en Norvège, le témoin disparu irait certainement se réfugier en Notriche. Lui aussi pour faire du ski. Mais dans les polars suédois, tout le monde se barre toujours en Suisse.

S’il n’est pas en Suisse, ton personnage ira passer quelques jours de villégiature dans sa maison de vacances au bord de la mer, à Blankenbergstromstad par exemple. Ben oui, comme il est riche, il a toujours une petite résidence secondaire qui lui permet de réfléchir et d’éplucher les documents top secrets qu’il a volés au gouvernement. Après son jogging matinal, la nuit tombée vers midi, l’enquêteur s’enferme dans son bungalow, prépare un bon litre de café pour l’apéro, se réfugie sous trois épaisses couvertures et attaque la lecture des archives de la police secrète suédoise (qui tiennent dans un classeur) en dévorant un croque-monsieur au hareng.

Ce qui nous amène à un dernier détail amusant : le polar suédois révèle systèmatiquement une foulitude de secrets d’Etat. Parce que les personnages sont toujours mêlés à un vaste complot. C’est là que se trouve la clé du mystère, entre deux tasses de café. On attaque d’abord les secrets de famille : les frères cachés, les enfants adoptés, la grand-mère qui claquait 20.000 couronnes par an en Aquavit, etc.  Puis on subtilise des rapports classés top secrets au nez et à la barbe de la défense nationale et la vérité éclate enfin : le vieux était un nazi. Si, au cours de l’enquête, un détail manque dans le passé du grand-père, ce n’est jamais peine perdue d’aller jeter un oeil dans les archives de la Wehrmacht. 

Tu as la trame de ton histoire maintenant : un journaliste un peu rondelet qui court tous les matins dans les rochers et qui enquête sur la disparition mystérieuse d’un richissime compatriote qui n’a plus donné signe de vie depuis son dernier séjour en Suisse. On sait qu’il gagnait 10.000 couronnes par mois et qu’il passait son temps à boire du café brûlant entre ses promenades sur les plages gelées de Kuklüksnazikenstad. Néanmoins, un détail cloche dans le passé familial de ce riche héritier de l’empire Goebbelsson, du nom de son grand-père qui, dans les années 40, a fait fortune dans la taille des diamants. Notre enquêteur sait-il où il met les pieds ? Se rend-il compte qu’il est le héros d’un polar suédois et qu’il s’apprête donc, après avoir creusé sous une couche d’un demi-mètre de neige, à remuer des tas de merdes surgelées sur le passé de son pays ? Est-il prêt à affronter la vérité ? Tu ajoutes çà et là une paire de fesses et le tour est joué.

Il ne te reste plus qu’à apprendre à signer des autographes avec des gants en peau d’ours. Et tu verras rapidement les couronnes s’accumuler sur ton compte en banque.


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