jeudi 27 janvier 2011

Cassez-vous, pauvres cons

Je doute que mon coup de gueule du jour fasse l’unanimité. Mais après tout, quel est l’intérêt d’un coup de gueule universel pour clamer que la guerre c’est mal, qu’il faut soigner les lépreux ou que les chiens, ça pue. Me voilà donc en train de risquer de mettre au jour une divergence entre le propriétaire de ce blog (Niaco, le bruxellois aux origines vietnamiennes qui a roulé ses bosses sur à peu près tous les continents) et moi-même, l’invité honoris causa (AL, le parasite borain nomade et apatride, qui a aussi passé une partie de sa vie outre-Atlantique, avant de réclamer l’asile politique à Bruxelles pour finalement s’installer en Brabant wallon pour des raisons économiques mais qui n’écarte toujours pas l’idée de retourner vivre à New York). Vous me suivez ? Non ? Résumons : Niaco est Bruxellois, je suis Wallon.

Ce qui nous amène à une lecture parfois différente des événements. Parce que là où Niaco peut s’offusquer poliment des insultes de plus en plus régulièrement adressées au peuple wallon, comme on s’indignerait des conséquences pour la flore locale d’une inondation au Nord-Katanga, moi, de mon côté, j’accumule les humiliations proférées à notre égard comme autant de raisons de prouver enfin à ceux qui les répandent que les clichés du Wallon perdant ne sont rien d’autre que des clichés.
A force de ramasser des baffes, je me suis décidé à pousser le raisonnement un peu plus loin. Mais pourquoi ? Pourquoi nous considère-t-on comme des sous-Belges, des citoyens de seconde zone, accrochés comme des sangsues aux avantages d’une sécurité sociale en faillite, prompts à nous mettre en grève les veilles de jours fériés, incapables de commander notre pain dans la 2e langue nationale ou préférant profiter des allocations de chômage plutôt que de nous lever tôt (ou, dans mon cas, nous coucher tard) pour travailler ? Pourquoi ?

Pourquoi ? Parce que ce sont exactement ces clichés-là que martèlent depuis des années nos hommes politiques ! Ah bon ? Ces salauds de flamingants de la N-VA ? Non, pardi ! Ces salauds de pseudo-wallingants des partis francophones ! Suivez un peu (une fois) mon raisonnement. La moitié de la moitié nord du pays (ou en tout cas ses représentants élus) ne veut plus vraiment de nous. Ça a beau être choquant, c’est un fait : les riches ne veulent plus payer pour les pauvres. C’est dans l’air du temps. Les Allemands et les Italiens font pareil. Vive l’Europe.

Réaction en chœur de nos politiciens wallons : inacceptable ! Au nom de la sacro-sainte solidarité. Selon leurs dires, une séparation du pays – après, on peut discuter de la difficulté de couper un pays en deux – conduirait de facto à l’appauvrissement, voire la faillite de la Wallonie. Ce serait comme une sorte de fatalité. Non seulement, nous, les chômeurs et grévistes de la veille du week-end de Pâques, serions trop pauvres pour prendre en main notre destin sans l’argent des riches travailleurs courageux flamands. Mais de surcroît, nous serions trop cons pour renverser la tendance et transformer ce coup dur en formidable opportunité d’entamer enfin notre redressement. Pauvre et con, voilà le Wallon. L’innovation, très peu pour nous.

Tenir ce discours qui voudrait qu’une scission serait fatale à la Wallonie, c’est reconnaître implicitement l’incapacité de la classe politique wallonne à se remettre en question et à préparer notre belle région aux défis qui l’attendent… et donner raison aux thèses radicales flamandes souvent proche d’un racisme primaire nauséabond.

A y regarder de plus près, une plus grande autonomie wallonne (ne parlons même pas d’indépendance) pousserait nos réprésentants à réfléchir un peu plus loin et à trouver des solutions plus durables que, par exemple, accorder des énièmes subsides publics pour conserver les emplois dans le secteur de la sidérurgie. On sait ce que ça vaut : Arcelor Mittal aurait tort d’arrêter le chantage puisque ça marche. A chaque menace de mettre la clé sous le paillasson, les actionnaires récupèrent quelques centaines de millions d’euros de subvention pour maintenir quelques emplois précaires dans le bassin sidérurgique wallon. Mais qui peut croire encore dans l’avenir de la sidérurgie wallonne, vieillissante, chère et polluante, quand la main-d’œuvre des pays en voie de développement travaille plus longtemps pour moitié moins cher et peut se permettre de polluer beaucoup plus ? Il faut être politicien wallon pour être aveugle à ce point : on préfère financer à coups de deniers publics des emplois qui tiendront encore deux ou trois ans plutôt que de proposer à ces travailleurs de solides plans de reconversion dans des filières d’avenir pour la Wallonie, comme les énergies vertes, par exemple. Mais mes propos relèvent sans doute de l’inacceptable.

Autre exemple : le grand-prix de formule 1 de Francorchamps. Là aussi, la Wallonie dépense des cents et des mille pour conserver ce « modèle de dynamisme wallon ». Puisque des études universitaires ont démontré que le grand-prix n’apportait pratiquement rien en termes de retombées économiques pour la région, on agite maintenant le drapeau de « l’image » de la Wallonie à l’étranger. Ah, l’image ! Ce miracle de la communication moderne qui va nous amener les investisseurs par avions entiers à Bierset. Mais ouvrez les yeux, les gars ! Vous voulez savoir c’est quoi l’image de la Wallonie à l’étranger ? Je vais vous le dire moi. C’est Michel Daerden faisant le pitre à l’antenne après son huitième verre de Beaujolais. C’est ce même bouffon, ivre-mort, ridiculisant tout le pays lors d’une conférence de presse européenne sur le thème de l’avenir des pensions. C’est encore le même clown se vantant de ses exploits politico-médiatico-bibitifs chez Arthur. Quand le spectateur français rit de Michel Daerden, il rit de la Wallonie comme il rirait de la femme à barbe, d’un mangeur de sabres ou d’un mec capable de réciter l’alphabet en pétant. En gros, il se fout de notre gueule et il aurait tort de s’en priver.
L’image de la Wallonie à l’étranger, c’est le cirque.

Alors moi, je me surprends à rêver. Je rêve d’une Wallonie enfin confrontée à sa propre réalité. Une Wallonie qui ne peut plus se cacher derrière la « solidarité » et qui ose enfin se regarder dans le miroir. Une Wallonie qui prend conscience de l’urgence de s’attaquer enfin à son image désastreuse. Une Wallonie qui met enfin en place une véritable politique orientée vers l’avenir, une politique qui s’occupe des gens, d’éducation, de santé, d’emploi, d’environnement. Une Wallonie qui prend enfin la mesure de ses profonds dysfonctionnements : intercommunales à gogo, clientélisme, copinage, népotisme, conflits d’intérêts, etc. Une Wallonie qui deviendrait un exemple de la lutte contre toutes les fraudes. Allons déjà chercher l’argent là où il se cache : la fraude fiscale (et je vous entends déjà me traiter de gaucho) et la fraude sociale (et je vous entends déjà me traiter de facho). Une Wallonie qui ferait le ménage et se débarrasserait enfin de tous ces boulets qui s’expriment en son nom alors qu’ils ne représentent que les quelques abrutis qui les ont élus en échange d’une Carlsberg sur le marché dominical : Eerdekens, Van Cau, Lizin, Chastel, Henry, Collignon, Galant, les fils Ducarme, Antoine, Happart, Javaux, Arena, j’en passe et des meilleurs. Laurent Louis ? N’en parlons même pas. C’est un blog sérieux ici. Et les Daerden dans tout ça ? Les imaginer en prison, c’est plus qu’un désir, c’est carrément un rêve érotique. J’en craquerais mon slip, j’en déchirerais mon pyjama, j’en souillerais mes draps, j’en arroserais mes murs et mon plafond. J’en réveillerais mes voisins à hurler mon plaisir jusqu’à ce que mes cordes vocales sautent l’une après l’autre. Les Daerden en prison. Je serais prêt à assister tous les dimanches à la messe de Monseigneur Léonard si ça pouvait accélérer les procédures judiciaires. J’échangerais ma prostate contre leurs tronches derrière des barreaux.

Imaginez une Wallonie nettoyée de tous ces parasites ! Populo, démago ou poujadiste, moi ? Mais pas du tout. Il reste des tas de politiciens wallons en qui je conserve une entière confiance : Marcel Cheron chez Ecolo, Paul Magnette au PS, Melchior Wathelet Jr. au cdh. Et, j’avoue que j’ai dû me faire violence, mais même au MR, on pourrait imaginer que Christine Defraigne relève un peu le niveau des débats. En voilà quatre qui m’ont l’air extrêmement intelligent. Pourquoi ne pas les enfermer ensemble quelques semaines et les laisser réfléchir à notre avenir ? Interdisons-leur de fréquenter les marchés et bannissons-les des bistrots où l’on sert de la Carlsberg. Ce n’est plus vraiment la démocratie ? Et alors ? Qu’on m’apporte la tête de celui qui condamnerait une période transitoire qui s’assimilerait, disons… à une sorte de despotisme éclairé multipartite. C’est peut-être le prix à payer pour retrouver notre fierté.
Impossible ? Alors je me contenterai de rêver d’une Wallonie où les protagonistes politiques mettraient enfin leurs questions d’ego au second plan.

- Elio, j’aime pas ton nœud pap’ de tapette, mais on va quand même bosser ensemble pour créer de l’emploi.
- Tu as raison Didier, mettons-nous au travail. Au fait, c’est ton front qui a encore grandi ou c'est tes yeux qui ont glissé sur tes joues ?

Si vous êtes arrivé à tout lire jusqu’ici, peut-être en sautant l’un ou l’autre paragraphe, vous vous dites peut-être que j’ai succombé au séparatisme, que j’ai condamné la Belgique avant ces voyoux de Daerden, que j’ai pété un plomb, que je suis devenu Flamand. Pourtant, j’aime la Belgique, j’aime son côté un peu décalé, je me sens plus Belge que fondamentalement wallon. Dans un monde idéal, je préférerais que la Belgique reste unie parce que je reste attaché à ce pays. Et je continue à ressentir plus d’atomes crochus avec les Flamands qu’avec les Français. Et puis, j’ai beau être un sale fainéant de wallon, un parasite borain, un bon à rien, j’ai quand même créé ma propre entreprise… et je réalise 50% de mon chiffre d’affaires en Flandre. Alors même si ce n’était que par pur réflexe égoïste, je préférerais conserver ce pays tel qu’il est. Et me battre pour laver l’honneur de tous ces Wallons qui suent sang et eau pour se tenir droits.

Mais il y a un point sur lequel je ne céderai jamais : foutez-moi les Daerden en prison. C’est la seule revendication sur laquelle je ne plierai pas. Onbespreekbaar.

jeudi 20 janvier 2011

Jean Quatremerde

Monsieur Quatremer affirme sur son blog que la manifestation du 23 janvier, qui réclame la formation d'un gouvernement sans en préciser la forme, constitue le degré zéro de la politique.

Avec la condescendance stéréotypique qui a ancré la haine du Français - et de sa grande gueule - dans l'inconscient collectif des moules-frites, Monsieur Quatremer nous livre une analyse digne de BHL citant Botul:

Le peuple belge est-il en train de manifester son attachement à la Belgique ? Hé bien non. D’abord, cette initiative vient de Bruxelles, plus précisément d’étudiants de la VUB, l’Université flamande de la capitale, et non d’Anvers ou de Gand. Ils sont certes néerlandophones, mais sont avant tout des Bruxellois et à ce titre, ils font partie des derniers Belges vraiment attachés à leur pays.

Parce que tous les étudiants de la VUB sont originaires de Bruxelles peut-être? Pas un seul petit Flamand des campagnes monté à la ville pour faire ses études?

Ils sont certes néerlandophones, mais sont avant tout des Bruxellois: si je comprends bien la Flandre reconnaît à Bruxelles le statut de Région à part entière? Aux dernières nouvelles, il me semble que la Flandre a toujours Bruxelles pour capitale, et la considère comme partie intégrante de son territoire. Un Flamand de Bruxelles n'est pas moins flamand qu'un Flamand de périphérie. Je ne vois donc pas pourquoi une initiative émanant de Bruxellois aurait moins de poids que si elle émanait de Gantois ou d'Anversois.

A ce titre, ils font partie des derniers Belges vraiment attachés à leur pays.

Les derniers? Vraiment? Je sais qu'on est au pays du surréalisme, mais Monsieur Quatremer vit carrément dans une réalité alternative. Qu'il sorte un peu du quartier européen, la Gare du Luxembourg est juste à côté: qu'il prenne un train, qu'il voie un peu du Plat Pays. Après, on en reparle.
D'ailleurs, en vertu de quoi les Bruxellois seraient-ils par essence Belgicains? Moi, franchement la Belgique, j'en ai rien à foutre. J'ai juste pas envie de devenir Flamand. Ni Wallon. Grolandais, à la limite, mais je suis avant tout Bruxellois. 


Bref, la manifestation de dimanche fait dans l’apolitisme bêtifiant, alors que l’unité du pays n’a jamais paru aussi menacée. Mais sans doute est-ce la seule façon de réunir encore, autour d’un même mot d’ordre, Néerlandophones et Francophones, même bruxellois.

Commençons par montrer de façon pointilleuse et mesquine que Monsieur Quatremer ne sait pas de quoi il parle: on ne dit pas Néerlandophones et Francophones, termes qui renvoient aux Communautés linguistiques, suivi de même bruxellois, qui désigne les habitants de la Région de Bruxelles-Capitale. Et prend une majuscule.

Au-delà du vieux cliché qui veut qu'à part le chocolat et la bière, les Belges n'aient plus rien en commun, le spectre de la Fin Imminente le Belgique et l'épouvantail de l'Unité Tous Les Jours Un Peu Plus Menacée, il me semble que ça fait plus de 200 jours qu'on en bouffe à tous les repas, et, que je sache, le partage des boules de l'Atomium n'est encore à l'ordre du jour nulle part.

D'ailleurs l'unité du pays, me semble nettement moins menacée qu'en 2007 ou au soir du 13 juin. Parce que l'opinion publique commence à grogner, et que son grognement se fait l'écho d'une autre pression bêtement apolitique: celle des marchés. Du coup, le bon vieux compromis à la belge, qui ne satisfait personne mais permet à tout le monde de sauver la face, apparaît de plus en plus comme la seule option viable.

Dans une démocratie, réclamer du monde politique qu'il fasse ce pour quoi il a été élu n'est pas bêtement apolitique. Le rappel par la population à sa classe dirigeante que la politique c'est avant tout la gestion de la Cité n'est pas un événement anodin. Réclamer aux élus d'accomplir la tâche qui leur a été assignée par le scrutin, conformément au résultat des urnes ne relève pas du degré zéro de la politique, mais de la conscience citoyenne.

Le degré zéro de la politique, c'est montrer l'autre du doigt et l'accuser de tous les maux, vous savez, comme Sarkozy fait avec les Roms, les immigrés et tout ce qui ressemble de près ou de loin à un pauvre.

Dents amères (histoire vraie)

Il m'est arrivé un truc incroyable en réunion ce matin. Mon interlocuteur, 60 balais environ, s'arrête net en pleine démonstration sur les enjeux de la crise de la dette. Il tousse un peu, il tousse plus fort, s'étrangle, plonge la main dans la bouche et en retire... la moitié de son dentier qu'il pose sur le bloc-notes devant lui en marmonnant "Eh ben, je l'avais pas vue venir celle-là!", puis il reprend là où il s'était arrêté, comme si de rien n'était, mais en zozotant monstrueusement. Laissant la moitié son dentier, tout dégoulinant de salive et d'une pointe de bile, échoué sur une table de réunion.

Ce n'aurait été qu'un vilain fou-rire passager à réprimer si notre réunion n'avait pas encore duré plus de 2 heures. 2 heures de lutte, 2 heures à ne plus quitter des yeux le carnet devant moi, 2 heures de douleurs abdominales pour ne pas lui éclater de rire à la gueule. A un moment, j'écrivais n'importe quoi sur mon cahier pour ne pas devoir croiser son regard. J'en avais les mains qui ruisselaient de sueur nerveuse. De temps à autre, un petit sursaut, comme un hoquet, que je m'empressais de camoufler en écrivant de plus belle, les yeux humides. Quand il est parti, je suis retourné à mon bureau en me tenant au mur tellement je riais. J'ai prévenu les collègues qu'ils allaient me voir me marrer tout l'après-midi.

J'avais déjà vu des cas, mais le mec qui retire ses dents en pleine réunion, c'est du jamais vu.

Le monde est moche. Mais aujourd'hui, je m'en fous. Je ris à m'en dilater la rate.

mardi 18 janvier 2011

Privés de dessert

J'ai lu quelque part dans la presse que nos voisins se demandent ce qui nous a pris si longtemps pour descendre dans la rue.

La réponse est simple: le citoyen belge a compris depuis belle lurette que les postures politiques ne sont que des postures. Que notre système électoral est tel que le compromis est inévitable.

Pour ne pas les vexer, on a gentiment fait semblant de les croire, et on les a laissé jouer un peu à "on disait qu'on trouvait pas de compromis" :

Donne-moi plus de concessions, j'en ai pas assez!
Mais-eu, je t'en ai déjà filé plein!
Non c'est pas vrai, elles sont minuscules, d'abord!
Nan, elles sont très grandes, même qu'elles sont super géantes!
 
et caetera, et caetera, et plein plein de caetera.

Et donc depuis plusieurs mois, le Belge traite ses élus comme on traite un enfant qui fait un vilain caprice: il regarde ailleurs et fait semblant de ne pas les voir. Parce que s'ils se rendent compte qu'on les regarde, ça va être encore pire: ça va taper du pied en devenant tout rouge, voire se rouler par terre pour les plus radicaux.

Mais bon, là les autres adultes commencent à le trouver un peu long le caprice. Ils font des commentaires désobligeants, ils lancent des ragots pleins de médisance qui tache. Alors le Belge il en a doucement sa claque: il a pas envie de laisser les marchés couler son économie, alors qu'il a élu des gens de chez lui pour le faire. Et à quoi aura servi la stigmatisation systématique des musulmans, si c'est pour arracher la palme du ridicule à un pays de bougnoules?

Du coup le Belge jette un œil du côté du bac à sable, et se dit que ça commence à bien faire, une fois. Il commence à se rappeler que le gros plein de frites qui braille à tout-va qu'il est la voix de la majorité, n'est en fait que la voix d'à peu près 15% de la population, et que ces 15% puent quand même salement de la gueule.

Alors comme les parents trop patients, le Belge se dit qu'il va revenir à la pédagogie à l'ancienne, celle qui a fait ses preuves, façon marti-fouette.

Le 23 janvier, on investit enfin la rue. Pour pousser une gueulante, envoyer les vilains au coin et menacer d'une bonne fessée.

J'espère que ça suffira, je voudrais pas être obligé d'immoler Claude Eerdekens.

Quoique.

Révolution du dimanche

Cette fois, il y en a marre. J’en ai par-dessus la tête. Cette situation m’horripile. C’est à la limite du supportable. Je vous avais prévenus, mais cette fois, je vous préviens une dernière fois, je vais passer à la l’acte : la révolution, on va la faire, les gars ! Plus de 200 jours sans gouvernement, ça ne va plus. Je suis fâché, je suis furax, je pète les plombs, j’en attrape de l’urticaire entre les doigts de pieds. J’ai la veine qui surplombe l’œil droit qui danse le limbo. Messieurs les élus, ça suffit ! Je vous dis crotte ! Zut ! Flûte ! On ne vous a pas élus pour écouter vos carabistouilles. Bougez-vous le derrière, messieurs ! M… m… merde à la fin, quoi…

Vous semblez oublier que j’ai étudié la science politique, messieurs les apprentis ministres. Ah mais bien sûr. Moi aussi, j’ai tiré les leçons de ces destins qui ont façonné l’Histoire, avec une grande hache. Novembre rouge, les 20 ans de Prague, la nuit des longs costauds : on connaît nos classiques des mouvements populaires. Et pas seulement à l’étranger. Notre histoire belge est également jalonnée d’exemples de grands rassemblements de masses qui ont fait plier l’élite. Ma grand-mère me parlait souvent de la marche des dames qui a fait tomber Albert Ier. Gaucho, moi ? Mais allons donc ! J’ai lu Hergé dans le texte, moi, Messieurs !

Mais cette fois, c’en est bon. Ma patience a des limites. Je sors de mes gonds. Le 23 janvier, nous défilerons tous dans la rue. Nous battrons le pavé. Et si le cœur nous en dit, nous vous en enverrons quelques uns par les voies aériennes. Comme au bon vieux temps. Eh oui, Messieurs, vous avez poussé le bouchon un peu loin dans les orties.

Je terminerai par une bonne et une mauvaise nouvelle pour vous.

La mauvaise, c’est que la marche du 23 tombe un dimanche. Ça tombe bien, je n’aurais pas voulu prendre congé pour faire la révolution. Et samedi, il y a Patrick Sébastien.

La bonne, c’est que vu que ça tombe un dimanche, vous pouvez déjà écrémer le cortège de tous les syndicalistes. Ben oui, ils ne travaillent pas le week-end.

lundi 17 janvier 2011

Comment écrire un bon polar suédois?



Toi aussi, tu veux devenir un auteur à succès ? Tu veux surfer sur la vague ? Tu rêves de dédicacer tes romans par caisses de douze ? Alors, deviens auteur de polars suédois. C’est à la mode. Voici quelques règles à suivre pour rédiger  ton premier best seller scandinave.

Avant toute chose, plante le décor. N’oublie jamais ce détail important : en Suède, il caille. Et pas qu’un peu. Il caille sévère. Dans les -20°. Pas toute l’année, l’été est d’ailleurs assez doux. Mais ça, on s’en fout. Tout bon polar suédois qui se respecte se passe en hiver. Un hiver piquant, avec un vent à déboiser un renne. Un hiver à tailler des diamants avec son prépuce. Un hiver où on prend un coup de chaleur en ouvrant le frigo. Conséquence inéluctable : tes personnages doivent toujours boire du café brûlant.

- Avez-vous tué madame Södersson, mon cher Bjäär ? Mais avant de répondre, voulez-vous que je vous refasse quelques litres de café brûlant ?
- OUAIS !!!

Quand ils ne boivent pas de café, tes héros doivent s’empiffrer. Autrement, ils gèlent sur place par manque de calories en combustion. Et ils mangent tout le temps : du fromage, des gateaux, des filets de hareng. Le tout arrosé d’un bon thermos de café. Ce qui nous amène à notre deuxième conséquence : le héros suédois est toujours un peu grassouillet. Comme un poussin qui serait resté enfermé toute la nuit dans le rayons haricots en sauce du Delhaize. L’héroïne roulée comme Adriana Karembsson, tu oublies : c’est pour le cinéma. Dans les romans policiers, c’est plutôt Bridget Jonesson. De toute façon, le détective suédois peut se permettre d’être gros : personne ne remarque rien sous ses trois manteaux en peau de phoque. Mais il fait quand même du sport, parce qu’il ne voudrait pas devenir obèse. Juste rester grassouillet. Le Suédois reste lucide. Normal, c’est le pays où les gens sont les plus intelligents du monde.

Il est temps maintenant de t’imprégner de la culture suédoise. Quelques notions rudimentaires suffiront. Prenons la géographie par exemple. Tu pensais que le meurtre aurait lieu à Stokholm ou à Göteborg ? Pas de bol, les meurtiers suédois frappent toujours dans des bleds qui portent un nom d’au moins 5 syllabes. Ferderickstrombledberg, Bledigünbergströmtan, Hoffingqrakbledssonstad, Liddörsthörbledkkborg-la-Buissière. Un auteur s’est un jour essayé à des noms de villages plus courts, mais son roman “Trois marrons glacés à Kstdkl” a été un flop total.

Autre coutume typiquement suédoise : les flics ont trop de boulot pour résoudre des meurtres. Du coup, cette tâche ingrate échoit à quelques citoyens lambda qui ont la chance d’exercer un métier où on n’a rien à foutre de la journée : journaliste, écrivain, instituteur, directeur d’un empire financier. Un peu comme Tintin, mais avec des mouffles, des raquettes aux pieds et un quadruple col en mouton retourné. Et accro au café.

Dans un vrai polar suédois, le meurtrier est typiquement pété de thunes. Ce n’est pas sa faute, il est suédois. Là où ça se complique, c’est que les innocents sont également riches comme Crésus. Ils gagnent des centaines de milliers de couronnes chaque année. C’est important de le préciser. Et c’est encore plus important de passer sous silence le taux de change. Tout le monde s’en fout également. Tout ce qu’on sait, c’est que 100.000 couronnes, ça fait beaucoup d’euros aussi.  Entre 1.000 et 10 millions d’euros. Au moins.

Grosse tendance également dans le polar suédois, c’est l’exil. En décortiquant le passé de la victime, l’enquêteur tombera sur une période opaque : mais où diable était Grönkald entre ses 18 et 21 ans ? Tu veux vraiment savoir ? Il était en Suisse. Tous les personnages de romans policiers suédois s’exilent en Suisse à un moment ou un autre. Pour quoi faire ? On n’en sait rien. Du ski sans doute. Et pourquoi la Suisse ? Peut-être parce que c’est le pays qui suit la Suède dans la dictionnaire. Si l’intrigue se passait en Norvège, le témoin disparu irait certainement se réfugier en Notriche. Lui aussi pour faire du ski. Mais dans les polars suédois, tout le monde se barre toujours en Suisse.

S’il n’est pas en Suisse, ton personnage ira passer quelques jours de villégiature dans sa maison de vacances au bord de la mer, à Blankenbergstromstad par exemple. Ben oui, comme il est riche, il a toujours une petite résidence secondaire qui lui permet de réfléchir et d’éplucher les documents top secrets qu’il a volés au gouvernement. Après son jogging matinal, la nuit tombée vers midi, l’enquêteur s’enferme dans son bungalow, prépare un bon litre de café pour l’apéro, se réfugie sous trois épaisses couvertures et attaque la lecture des archives de la police secrète suédoise (qui tiennent dans un classeur) en dévorant un croque-monsieur au hareng.

Ce qui nous amène à un dernier détail amusant : le polar suédois révèle systèmatiquement une foulitude de secrets d’Etat. Parce que les personnages sont toujours mêlés à un vaste complot. C’est là que se trouve la clé du mystère, entre deux tasses de café. On attaque d’abord les secrets de famille : les frères cachés, les enfants adoptés, la grand-mère qui claquait 20.000 couronnes par an en Aquavit, etc.  Puis on subtilise des rapports classés top secrets au nez et à la barbe de la défense nationale et la vérité éclate enfin : le vieux était un nazi. Si, au cours de l’enquête, un détail manque dans le passé du grand-père, ce n’est jamais peine perdue d’aller jeter un oeil dans les archives de la Wehrmacht. 

Tu as la trame de ton histoire maintenant : un journaliste un peu rondelet qui court tous les matins dans les rochers et qui enquête sur la disparition mystérieuse d’un richissime compatriote qui n’a plus donné signe de vie depuis son dernier séjour en Suisse. On sait qu’il gagnait 10.000 couronnes par mois et qu’il passait son temps à boire du café brûlant entre ses promenades sur les plages gelées de Kuklüksnazikenstad. Néanmoins, un détail cloche dans le passé familial de ce riche héritier de l’empire Goebbelsson, du nom de son grand-père qui, dans les années 40, a fait fortune dans la taille des diamants. Notre enquêteur sait-il où il met les pieds ? Se rend-il compte qu’il est le héros d’un polar suédois et qu’il s’apprête donc, après avoir creusé sous une couche d’un demi-mètre de neige, à remuer des tas de merdes surgelées sur le passé de son pays ? Est-il prêt à affronter la vérité ? Tu ajoutes çà et là une paire de fesses et le tour est joué.

Il ne te reste plus qu’à apprendre à signer des autographes avec des gants en peau d’ours. Et tu verras rapidement les couronnes s’accumuler sur ton compte en banque.


Crise politique

Dire que si on fait la révolution, on n'a même pas de gouvernement à foutre dehors

mercredi 5 janvier 2011

Comprendre, c'est pas encore agir

Bien installé devant mon clavier, je sirote une camomille en surfant d'un site de presse à l'autre. Du Soir à la Libre, en passant par Rue 89. Du Monde à Libé, en passant par Bakchisch, sans oublier le Diplo et quelques blogs pour compléter le tableau. Sur mon bureau, une version papier du Courrier International, et le Vif dans les chiottes. Je lis beaucoup la presse.

Le monde est complexe, mais j'essaie de le comprendre. Les médias m'y aident, même s'ils font souvent un boulot de merde. Je suis un lecteur averti, j'ai du sens critique, on ne me la fait pas.

J'aime bien les cartes blanches et les pages d'opinion. Même si je ne suis pas toujours d'accord, j'aime bien découvrir d'autres points de vue pourvu qu'ils soient argumentés.

J'ai bien conscience qu' "on" ne nous dit pas tout, mais j'essaie quand même d'en savoir le plus possible. J'éprouve un plaisir intellectuel à comprendre les enjeux sous-jacents des grandes questions de société. Cette compréhension me permet de percevoir les stratégies de communication, mais aussi d'éviter de donner mon crédit à des actions militantes, toujours trop limitées dans leur portée et jamais à l'abri de la récupération.

Grâce à une vision du monde construite sur un regard critique, j'ai réussi à ne pas compromettre mon intégrité dans des actions incohérentes ou contestables.

Le monde est injuste, et son injustice nécessite une contestation dont la cohérence réponde à sa complexité. Le monde doit être changé, mais il faut bien réfléchir pour le changer en bien du premier coup. Donner une réponse qui tienne compte de la multitude d'enjeux imbriqués. Qui ne puisse pas être récupérée; qu'on ne puisse pas accuser de privilégier une cause ou d'en oublier une autre.

Bien installé devant mon clavier en sirotant ma camomille, je me bâtis une dignité intellectuelle qui justifie mon inaction, et je regarde le monde se désagréger en méprisant ceux qui luttent.