samedi 30 octobre 2010

Garçon, une Chimay, une Léberg pétillante et un Parasol orange

Avez-vous remarqué comme il est devenu difficile de trouver un bon bistrot? Je veux dire un vrai bistrot, avec des banquettes en skaï toutes pourries et des chaises pas confortables, un troquet dans lequel la portion de gouda jeune a eu le temps de tourner mi-vieux, un estaminet où l'on vous nettoie la table avec une lavette qui sent la vieille eau de vaisselle, bref un authentique caberdouche tout-pourri.

Je ne dirai jamais assez de mal des connards qui ont repris des endroits géniaux qu'ils ont dénaturés, parfois sous prétexte de les sauver.

Le jour où je croise une raclure qui se vante devant moi d'avoir ouvert un de ces horribles commerces décorés n'importe comment sous prétexte d'originalité, qui te vend de l'eau pétillante du Nicaragua à 8 euros le verre, sous un éclairage mauve-fuschia, le jour - donc - où je croise un type pareil sans ses pitbulls et ses gardes du corps, il se prend illico un coup de pied dans les couilles, genre fallait pas laisser Nilis tout seul devant le but.

Au sommet de ma liste des reprises de volée casse-burnes, je place sans hésitation: Le Botanique à Bruxelles. Je me souviens d'une cafétaria dont le sandwich le plus exotique était à la salade de viande, doublée d'un resto qui servait invariablement du poulet sauce au poivre, un comptoir où Madame Capuccino venait commander son faux capuccino qu'elle allait boire sous l'escalier en bois. Un endroit qui, les soirs de concert, se transformait en l'un des derniers bars rock de la ville, dans l'esprit comme dans le son. J'y ai vu le barman jeter dehors des types moins saouls que lui au son des Stooges ou des Pixies. J'y ai aussi vu Arno, ivre mort commander une vodka en marmonnant et Catherine Ringer des Rita se donner en spectacle sur l'escalier de Madame Capuccino, pendant que Mano Solo se roulait un pétard à l'endroit-même où elle était assise plus tôt dans la journée.

Aujourd'hui, cet endroit est devenu un "café dansant". Il n'y a plus d'escalier en bois sous lequel boire son mauvais café. Le resto a été fermé pour agrandir la piste de danse et les chaises en métal hideuses remplacées par des divans. Le soir, à la place des Stooges, on peut entendre deux idiots derrière leurs platines se prendre pour les frères Dewaele. C'est une horreur, n'y allez jamais.

Dans un autre registre, on a les bars "de caractère". Genre: on va rénover le bazar sans détruire son charme. Des couilles, oui: le résultat est invariablement un nouvel avatar du bar tendance, dont la pire incarnation est le faux estaminet, genre le Verschueren (à Bruxelles toujours). L'intérieur en bois est préservé, le mobilier rafraîchi, mais sans dénoter. On a même droit aux panneaux publicitaires métalliques vintage qu'on trouve dans un kot étudiant sur deux. Bref, une atmosphère old school à souhait, dans le respect du paysage urbain et du patrimoine bruxellois. Sauf que...la serveuse sait à peine servir une Chimay, le potage du jour est un truc végétarien de saison, type potage aux lentilles (sans lard) et que t'as beau chercher tant que tu veux, y'a pas un seul vieux du quartier accoudé au bar; t'as beau regarder dans tous les coins, y'a pas de bingo; et si tu veux une eau pétillante, tu dois choisir entre trois trucs différents.


Un jour, j'ouvrirai un café, un vrai bistrot digne de ce nom. Un troquet avec les banquettes en skaï et les chaises inconfortables. Les tables seront branlantes et tiendront avec une pile de sous bocks grosse comme un bottin. J'y servirai du faux capuccino, celui avec la chantilly à la bombe qui arrache une grimace de mépris aux serveuses de latte authentique de chez Starbucks. Qu'elles aillent se faire foutre: je servirai du faux capuccino mais du vrai Irish Coffee.

Si j'engage une serveuse, elle sera moche, mais elle connaîtra toutes les bières de la carte, qu'elle saura servir les yeux fermés en chantonnant Led Zep. Elle se frottera les mains sur son t-shirt Frank Black avant de couper une portion de fromage pas bio, pas cher et pas frais, qu'elle servira avec de la moutarde du Colruyt dans un pot Amora.

Il y aura un bingo, à côté de la porte des toilettes; toilettes qui, sans être véritablement sales, ne seront pas vraiment propres non plus.

La carte, minime, sera conçue pour déprimer le connard cosmopolite et sa pouffiasse en quête d'endroits authentiques pour siroter un Gini ou une "San Pe". Déjà, y'aura pas de "San Pe", ni de Gini, ni de Fanta, de Sprite ou même de Chaudfontaine: chez moi Monsieur, on boira de la Léberg et du Parasol orange.

Mon troquet, ce sera l'archétype du café du coin. Un endroit où on vient boire un verre le dimanche après avoir acheté son poulet rôti au marché. L'endroit où le vieux raciste peut côtoyer l'ouvrier arabe. La plaque tournante de la philosophie et de la politique de comptoir.

Mon troquet, ce sera pas un commerce destiné à divertir la classe moyenne.
Ce sera un morceau de ville rendu à la classe populaire.

Et un doigt d'honneur à une politique qui ne voit de patrimoine que dans les vieux bâtiments, les défilés costumés, et les bières d'abbayes. Sans voir que le vrai patrimoine culturel réside dans la façon qu'a un vieux poivrot de boire sa Chimay, refaisant le monde en patois, accoudé à un zinc pas propre.

C'est vraiment de plus en plus dur de trouver un bon bistrot.