vendredi 3 juin 2011

Le jour de la marmotte de Schrödinger

Quelque chose cloche dans la réalité.

Ca a commencé au mois de mars, avec des températures douces et un temps sec. Au début je n'ai rien vu, trop heureux de profiter d'un peu soleil après l'hiver. Pour une fois qu'il ne pleut pas dans ce pays merde, j'allais pas commencer à me plaindre. En fait, j'en ai tellement profité que je ne me suis pas rendu compte qu'il n'avait pas plu du tout. En Belgique. En mars. Mon grand-père a bien essayé de m'avertir entre deux quintes de toux glaireuses mais depuis qu'il se chie dessus, je ne m'approche plus assez pour comprendre ce qu'il raconte: quand il disait "giboulées", j'entendais 'sales bougnoules". Saloperies de préjugés. Si le vieux était pas aussi raciste, j'aurais vu les choses venir.

Il y a bien eu Fukushima, mais, distrait par les premières mini-jupes et le dernier Mortal Kombat, je n'ai prêté qu'une oreille distraite aux bulletins annonçant que le nuage radioactif atteindrait l'Europe mais épargnerait la Belgique. Quand j'en ai parlé à mes amis, bien plus tard, ils m'ont traité de naïf et m'ont ri au nez d'avoir avalé la "propagande" gouvernementale. Bien que nous n'ayons toujours pas de gouvernement, mon esprit, trop occupé à savourer une Rochefort en terrasse, ne s'attarde pas sur la faiblesse de l'argument.

Arrive avril. Fidèle au proverbe, je ne me découvre pas d'un fil. J'évite également de lever les bras car mon gros pull en laine me fait des auréoles comme les étangs d'Ixelles. 25 degrés à l'ombre. Le temps est passé de l'hiver à l'été sans se perdre en préliminaires, à l'inverse des négociations gouvernementales. Autour de moi, une euphorie estivale s'installe. Les pouffiasses se réjouissent des économies qu'elles vont faire en bancs solaires, le marchand de gaufres se transforme en marchand de glaces, on voit même passer un ou deux connards en quad. Tout le monde se sent en vacances, et profite du beau temps qui pourrait changer du jour au lendemain. Sauf moi, dont le col roulé et les moonboots dénotent dans la foule des filles en sandales et des mecs en marcel. Les gens me regardent d'un drôle d'air, alors que je suis le seul à porter des vêtements de saison. Je me console dans la mesquinerie, et attends avec une joie mauvaise le retour aux normales saisonnières (froid déprimant et pluie dégueulasse). En vain.

Mai. Ma grand-mère, dont les douleurs aux genoux prédisent l'arrivée de l'orage, s'est mise au skate-board et à l'escalade. Cette fois, c'est sûr quelque chose cloche. Les beaux jours s'enchaînent avec une constance qui n'a d'égale que la monotonie des négociations institutionnelles. Le soleil est devenu aussi normal que les insultes de la N-VA. La psyché collective voit la formation du gouvernement et le prochain orage de la même façon, comme des événements inévitables, mais tellement éloignés dans le temps qu'il n'est pas nécessaire de s'en préoccuper. Trop heureux d'avoir troqué mes moonboots pour une paire de sandales, je partage un temps cette insouciance.

L'affaire du volcan islandais la fera voler en éclats: alors que c'est le branle-bas de combat dans l'espace aérien européen, le nuage de cendres épargne la Belgique. Comme pour Fukushima. Mon instinct de policier trouve tout de suite ça suspect. Des années d'expérience (9 saisons des Experts, sans parler des spin-offs) qui complètent une éducation baignée dans le milieu (Starsky et Hutch, Matt Houston sans oublier Rick Hunter), ça vous affûte le sixième sens comme un Gillette 15 lames.

Je lance mon enquête, mais j'ai beau utiliser toutes les ficelles du métier, je piétine: aucun dealer noir ne semble savoir quoi ce soit. L'actualité belge varie aussi peu que la météo: la N-VA insulte les francophones plus ou moins ouvertement, lesquels s'appliquent à faire semblant de n'avoir rien entendu. Par contre, ailleurs ça remue pas mal: DSK arrêté, les indignés en Espagne, le foutoir en Libye, Mladic arrêté, les concombres tueurs en Allemagne, puis partout en Europe. Partout? Vraiment? Non, une fois de plus, la Belgique est épargnée.

Mon instinct de scientifique trouve tout de suite ça suspect. Des années d'expérience (Star Trek, Star Wars, Starship Troopers) qui complètent une éducation baignée dans le milieu (Star Wars, Star Trek, Starmania), ça vous affûte le sixième sens comme un sabre laser.

Je reviens donc aux faits: un climat anormalement clément qui semble se prolonger indéfiniment, des négociations qui semblent se répéter à l'infini, des catastrophes qui évitent systématiquement la Belgique... Bon sang! mais c'est bien sûr: la réalité a été altérée. Nous vivons dans une bulle régie par des lois qui n'ont plus aucun lien avec le monde réel. La preuve: les Diables Rouges auraient toutes leurs chances contre la Turquie, et les supporters sont derrière eux.


Fort de ma découverte, je cherche un moyen de retourner dans le monde normal, bien que ce serait pas mal de voir une fois les Diables Rouges gagner...


Nous sommes maintenant en septembre. Il fait toujours 25 degrés à l'ombre. Le soleil se couche à 22h30 depuis juin, et le ciel est si dégagé qu'on envisage de remplacer la centrale de Tihange par des panneaux solaires. Une seule chose évolue: les insultes de la N-VA. De plus en plus ouvertes, de plus en plus méprisantes. Hier, De Wever a traité Di Rupo de "sale pédale à noeud pap'" et j'ai bien vu qu'Elio avait du mal à faire semblant d'entendre "la réforme de l'Etat". Depuis l'échec de sa mission de formatteur (avec deux T, pour éviter de nouvelles élections), Elio et ses copains encaissent pas mal. Il faut dire que la N-VA ne peut pas contrôler tout ce que disent ses 30.000 membres, qui eux ne se gênent pas pour donner leur avis à la télé.


J'ai l'impression qu'on est quelque part entre Un Jour sans fin et le chat de Schrödinger: le jour où un politicien francophone traitera enfin la N-VA de sales fachos de merde, et brisera ce statu quo illusoire, la pluie, les cendres radioactives, les concombres tueurs et tout le reste du monde réel nous tomberont sur la gueule d'un seul coup.

J'ai l'impression qu'on l'aura un peu cherché, quand même.

2 commentaires:

  1. joli billet de saison. Une sangria en terrasse avant PIL ?

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  2. avec plaisir. Je dois juste passer voir la compète de half-pipe de ma mémé avant.

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