vendredi 4 mars 2011

Rêve érotique n° 451 : le premier amendement

Fiction en hommage à la liberté d'expression.
Dédicace à tous les Juifs, les Arabes et les Roms qui se reconnaîtront.


La Bar-Mitzvah commençait à virer coton. Assis sur mon lazy boy, ostenisblement indifférent à la scène qui se jouait dans le salon, je sirotais mon cinquième whisky-coca zero de la matinée en regardant Pimp My Ride sur un écran plasma de 102 centimètres de diamètre. Pourquoi 102? Ces Coréens ont-ils des préjugés contre les chiffres ronds ? C’est encore un truc religieux ? Et puis c’est quoi leur religion, aux Coréens ? L’idée d’un geste commercial du patron de LG me paraissait assez saugrenue : vous vouliez un écran de 100 centimètres, il m’en restait un peu, je vous les ai mis avec. C’est cadeau.

“C’est cadeau”, c’est justement ce que répétait frénétiquement un être hirsute à la peau olivâtre, alors qu’il administrait une lecture très personnelle des Saints Sacrements à la jeune fille, héroïne du jour défoncée aux opiacés, reposant à quatre pattes sur le parquet de son appartement haussmanien, le visage plaqué contre le sol. La famille devait appartenir à un courant extrêmement libéral et moderne du judaïsme puisqu’elle offrait également aux jeunes filles le droit de jouir pleinement du rite d’initiation.
Ses longs cheveux filasses rabattus en avant lui masquaient le visage, mais on devinait entre les mèches collantes la blancheur d’un sourire crispé à chaque coup de bélier de l’hirsute à la peau olivâtre qui, au rythme de mouvements amples du bassin, prononçait les psaumes sacrés de sa propre Tora, une version rarissime introuvable dans le commerce : “C’est cadeau !”

Mes doigts de pied jouaient au whist avec une réplique en plasticine de Shiryu, lorsque je réalisai que les glaçons qui s’accumulaient à la surface de mon verre de Johnny Walker avaient un fort goût de lard fumé. “Ne jamais croquer les glaçons.” C’est ce que répétait toujours mon grand-père lorsqu’il me racontait ses exploits de la guerre de Corée. Tiens, encore ces Coréens, ça vire à l’obsession. “C’est cadeau !”

La jeune fille en redemandait, hurlait, suppliait son bourreau d’arrêter et puis le réclamait encore. Drôle de rituel de passage. J’avais beau avoir roulé ma bosse à travers le monde, de New York à Djakarta, de Libreville à Séoul (encore!), malgré mon intérêt évident pour les fêtes religieuses, l’anthropologie et le tourisme sexuel, je n’avais jamais assisté à une Bar-Mitzvah aussi crue. “C’est cadeau !”, martelait le mâle dominant d’une étonnante générosité. “Prends ça, c’est cadeau !” asséna-t-il une dernière fois avant d’entreprendre un mouvement de recul pour s’essuyer sur les rideaux. La jeune fille s’écroula, exténuée mais visiblement comblée.

L’homme au teint olivâtre s’approcha de l’écran de 102 centimètres, feignit d’ingorer les 2 centimètres de trop, se servit un gin-Ovomaltine et, lorsqu’il tourna la tête vers mon lazy boy, je le reconnus immédiatement: Eric Zemmour en personne, le chroniqueur au grand coeur, attifé comme un iroquois. Son teint un peu moins olivâtre que d’habitude aurait pu me faire douter, mais le tatouage de Michel Sardou qu’il portait sur le bras droit balaya toute forme de soupçon. Il se rinça la bouche d’un lampée de cocktail au malt, attrapa quelques olives dans un grand ravier qu’il avala aussitôt d’un geste cannibale. La star du showbusiness se râcla la gorge une dernière fois.  "Va faire ta toilette, John. Tu me dégoûtes.”  John ? Quel prénom original pour une jeune fille. Je ne comprends décidément plus rien aux traditions ancestrales.

“Je lui ai mis sa race à ce connard.”

Ce connard ? La jeune fille était donc un jeune homme ? Impression confirmée quand la victime sortit des toilettes : la lunette était bel et bien relevée. Le chevelu se joignit à la conversation. En rejetant ses cheveux en arrière, il dévoila un visage meurtri en peau de fricandelle. L’oeil vide, la moustache en tabac de Roisin, la lippe baveuse. C’était bien lui: John Galliano, le célèbre styliste au grand coeur, venait de se faire ramoner le tuyau d’échappement par le chroniqueur parisien. Et franchement, l’air vicié commençait à saturer en particules fines. A en juger les émissions de CO2 dans l’air ambiant, il devait en avoir parcouru des kilomètres ! Zemmour n’était pas du genre à carburer à la sans plomb.

“Ça fait quoi, de se faire déchirer les pattes arrières par une race inférieure, sale pédale?” lui demanda Zemmour.
“J’ai rien senti du tout, salope. On ne peut pas dire que vous soyez équipés comme des chevals !” lui répondit l’ex directeur des collections de Christian Dior, en effectuant quelques étirements des mollets et des ischio-jambiers. Il n’avait manifestement plus la souplesse de ses vingt ans.
“On dit des chevaux, sous-merde. Pas des chevals.”

La conversation prenait une tournure intéressante mais fut interrompue par un individu qui sonna à la porte de l’appartement. Zemmour alla ouvrir. “Merde, c’est Laurent.”

“Laurent Ruquier ?”
“Non, Laurent Louis. Planque vite le coffre à jouets. La dernière fois, il l’a confondu avec le réfrigirateur et il s’est étouffé en essayant de bouffer des playmobils.”

Dans l’encadrement de la porte apparut effectivement le président et unique membre du Mouvement libéral démocrate, accoutré d’un uniforme de pompier. “Salut les loulous ! Je vends des calendriers”, déclara-t-il en grandes pompes. Il entra dans l’appartement haussmanien et, exactement comme Zemmour l’avait prédit, il se précipita sur le coffre à jouets. “Vous avez encore des petits Jésus en sucre?”

Dés qu’il ouvrit la malle, Galliano se précipita sur le joufflu, lui rabattit le lourd couvercle sur les doigts. Penché vers l’avant, prisonnier de ce qu’il pensait être un garde-manger, le député se sentait dans une position particulièrement inconfortable. Et il n’avait encore rien vu. Galliano lui arracha violemment son pantalon ignifuge en grognant : “Je vais t’apprendre à te pointer chez moi fringué en Gaultier, sale Juif !”
“Je ne suis pas Juif ! Je suis libéral démocrate !” rétorqua Laurent Louis, alors que Galliano se faisait reluire le membre avec un morceau de couenne.
“Tu vas sentir la puissance de mille chevals, sale clochard.”

“Mille chevaux, John. Mille chevaux…” soupira Zemmour en se servant un nouveau gin-Ovomaltine. "Ce club de nostalgiques de la liberté d'expression, ça devient n'importe quoi." Il remarqua enfin l’absurdité de la scène : “Il y a deux centimètres de trop sur cet écran, non ?”

“C’était cadeau.”

Foutus Coréens…

6h45 : dring dring. Ils sont balèzes, ces nouveaux somnifères.

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